Les entreprises face aux enjeux et défis de leurs dépendances et impacts vis-à-vis de la biodiversité
Nous vous invitons au travers de cette publication à une mise en perspective sur la question de la prise en compte par les entreprises de leurs interrelations à la biodiversité. Cette démarche ne doit pas être perçue comme une injonction sociétale ou réglementaire dans l’air du temps, mais surtout comme une véritable démarche de bon sens relevant de l’intérêt des entreprises. Mais dont la mise en œuvre n’est pas toujours évidente…
Dépendances et impacts biodiversité des entreprises : une réalité encore peu assimilée
Les liens entre les activités humaines et la biodiversité sont très étroits. De manière directe ou indirecte (notamment au travers de leur chaîne de valeur), les entreprises dépendent et bénéficient du bon fonctionnement des écosystèmes naturels et de la biodiversité.
Cette dernière leur fournit gratuitement des services écosystémiques d’approvisionnement (bois, matières agricoles, etc.), de régulation (cycle de l’eau, climat, etc.) et immatériels (culture, biomimétisme, etc.). Leur valeur a été estimée par l’OCDE à 1,5 fois le PIB mondial. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), 40% de l’économie mondiale repose sur ces mêmes services.
Dans le même temps, les activités humaines sont à l’origine de la perte massive du capital naturel et des services écosystémiques associés. Cette perte se décline selon les cinq grands facteurs d’érosion identifiés par l’IPBES : le changement d’usage des sols, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes.
Par leur comportement, les entreprises détiennent les clés pour enrayer ce cercle vicieux devenu facteur de risques, et faire émerger les opportunités qu’offrent leurs interdépendances à la biodiversité. Cette perspective positive reste pourtant insuffisamment présente à l’esprit de nombreux acteurs économiques.
Diagnostiquer ses interdépendances pour identifier ses risques et savoir les piloter
Le diagnostic de ses interrelations avec la biodiversité sur sa chaîne de valeur permet de connaître l’exposition de son entreprise aux risques liés à cette biodiversité.
Ces risques sont dits « physiques » lorsqu’ils sont associés aux dépendances aux services écosystémiques. Ils sont dits « de transition » s’ils sont associés aux impacts sur la biodiversité, car ils exposent alors l’entreprise à des difficultés d’adaptation aux évolutions sociétales liées à la transition écologique.
Ces deux catégories de risques se traduisent par une exposition à des risques économiques de multiples natures. Parmi ceux-ci figurent des risques opérationnels (liés par exemple à des hausses de prix associées à des pénuries de matières premières), règlementaires (associés notamment à la montée des exigences en matière de protection de la nature), de financement (liés au relèvement par les banques ou investisseurs de leurs critères environnementaux) ou encore de marché (associés à la pratique d’achats plus responsables par les clients).
Identifier l’ensemble de ces risques permet de les piloter et de réduire voire de supprimer l’exposition de son entreprise à ceux-ci. Convertir ces risques en opportunités devient alors envisageable, autant dans l’intérêt de l’entreprise que de la biodiversité. Une situation initiale critiquable engendrant un risque de réputation pour l’entreprise peut ainsi être transformée en opportunité d’attractivité, du fait de l’appréciation positive de ses parties prenantes sur les actions qu’elle déploie.
L’exercice d’identification de ses dépendances et de ses impacts vis-à-vis de la biodiversité revêt donc un intérêt central pour toute entreprise souhaitant pérenniser ses activités.
La double matérialité biodiversité
Le diagnostic évoqué ci-avant permet notamment d’identifier et de caractériser les plus significatifs des enjeux de dépendances et d’impacts : il s’agit de l’approche dite de double matérialité.
Une large palette de méthodes et outils est à la disposition de l’analyse de double matérialité biodiversité (cf. section suivante). La pertinence de l’analyse repose sur le choix d’un jeu d’outils dédiés qui soient en mesure de qualifier voire quantifier les dépendances et les impacts, dans un souci de cohérence et de comparabilité des niveaux d’enjeux.
Les résultats de cette analyse ont vocation à alimenter la construction d’une stratégie biodiversité, axée sur la réponse aux enjeux de l’entreprise identifiés comme matériels. Idéalement, cette stratégie doit lui permettre de s’inscrire dans des cadres institutionnels consacrés à la biodiversité, comme l’accord de Kunming-Montréal, la Stratégie Nationale Biodiversité ou la Stratégie Régionale Biodiversité. Elle a également vocation à être déclinée en plans d’actions opérationnels, si possible basés sur des objectifs de type SMART assurant leur caractère réaliste et tangible.
L’approche de double matérialité, qui avec le temps s’est imposée comme une pratique de plus en plus courante, a récemment trouvé une consécration au travers de la CSRD. Celle-ci aborde la notion des impacts, risques et opportunités (IRO) au travers du double aspect de la « matérialité financière » et de la « matérialité d’impact ». Ces deux notions font appel aux dépendances et aux impacts matériels associés aux activités de l’entreprise sur sa chaîne de valeur.
La prise en compte des interdépendances de l’entreprise vis-à-vis de la biodiversité s’avère donc un exercice incontournable aux fins également d’une réponse pertinente à la norme ESRS E4 « Biodiversité et écosystèmes » de la CSRD, mais également pour toute structuration de démarches et de plans d’actions biodiversité. Cette approche est valable quelles que soient la taille et les activités de son entreprise, ceci y compris dans le cadre d’une candidature au programme « Entreprises engagées pour la nature » de l’Office français de la biodiversité.
La diversité des méthodes et outils d’évaluation des interdépendances à la biodiversité
Les méthodes et outils permettant de mener les diagnostics des dépendances et impacts des entreprises vis-à-vis de la biodiversité sont multiples. Notre propos se concentre sur l’évaluation des niveaux de dépendances et d’impacts des entreprises sur leur chaîne de valeur, sans que ne soient abordés ici les moyens de mesure de biodiversité sur le terrain, adaptés à d’autre contextes d’études.
Au-delà de cette diversité, les outils pertinents sont marqués par leur importante hétérogénéité sur différents aspects, parmi lesquels :
- leur fondement « autodiagnostic » vs. « appui sur une base de données reconnue » : alors que l’IIEB (Indicateur d’Interdépendances de l’Entreprises à la Biodiversité) repose sur une auto-évaluation par rapport à des critères prédéfinis, le GBS (Global Biodiversity Score) s’appuie sur des bases de données scientifiques établies reliant des activités économiques à des dépendances et impacts,
- la nature des données d’entrée requises : simple prise en compte d’un secteur ou d’un sous-secteur d’activité dans le cas d’ENCORE, données précises d’achats et de consommations dans le cas du GBS,
- le caractère qualitatif ou quantitatif de leurs résultats : résultats sous la forme de scores (de 1 à 5) pour le BRF (Biodiversity Risk Filter) vs. métrique agrégée de mesure d’intégrité des écosystèmes (la MSA – Mean Species Abundance) pour le GBS,
- leur accessibilité : outils gratuits vs. outils payants, versions gratuites vs. versions payantes.
Même si tous ont vocation à permettre l’évaluation des interdépendances à la biodiversité, la variété de ces outils, de leurs caractéristiques et de leurs champs d’applications, ainsi que leur évolution constante, expliquent la difficulté pour les entreprises de se les approprier sans recourir à des expertises externes.
Les défis de la prise en compte des dépendances et impacts sur la biodiversité dans les entreprises
Pour toute entreprise, évaluer ses interdépendances à la biodiversité relève de l’exercice d’identification et de levée de ses risques économiques. Il s’agit également du prérequis à toute initiative structurée en direction de la biodiversité, que celle-ci relève d’une démarche stratégique ou opérationnelle, et que celle-ci soit d’origine volontaire ou en réponse à une obligation réglementaire (CSRD).
La barrière qui se dresse face à un tel exercice est pourtant réelle, en lien notamment avec la complexité de l’offre en termes d’outils, et la difficulté d’identifier ou d’utiliser ceux les plus adaptés à ses propres besoins. Un premier défi repose donc sur la capacité des développeurs d’outils et des pouvoirs publics à rendre plus lisible cette offre, quitte à en proposer une simplification permettant aux entreprises de l’aborder comme elle le ferait avec toute autre offre d’outils ou logiciels supports ou métiers.
Plus en amont, un autre obstacle à cet exercice est celui de la sensibilisation, sans laquelle la démarche d’évaluation de ses impacts et dépendances ne peut trouver de sens auprès de ceux supposés la mener. Il est du ressort des acteurs spécialisés sur les enjeux de biodiversité de transmettre la connaissance, d’expliquer et de stimuler le passage à l’action au sein des entreprises.
Ces barrières, loin d’être insurmontables, s’expliquent également par l’intégration très tardive de la crise de la biodiversité dans le débat public, par rapport notamment à la question climatique. Il n’est donc pas étonnant que les moyens pour les entreprises de traiter le sujet de la la biodiversité soient encore en voie de consolidation, là où les « réflexes » et les outils associés au climat apparaissent mieux établis.
Il n’en demeure pas moins que par sa nature, le sujet de la biodiversité est plus complexe d’appréhension et de modélisation que celui du climat. La biodiversité ne pourra jamais être approchée via un indicateur universel tel que la tonne équivalent carbone pour le climat. D’où ce défi prioritaire qui reste à relever : donner aux entreprises la capacité d’appréhender avec efficacité leurs enjeux de biodiversité.